Algérie Telecom, la locomotive des TIC en passe de devenir un boulet

30/01/2014 - 10:14


La 3G boucle un mois en Algérie. L’engouement pour cette technologie est réel, mais il risque d’être confronté à la rigidité d’Algérie Telecom, selon Younès Grar, un expert en TIC, invité mardi, de Radio M, la web radio de Maghreb Emergent.
 
Algérie Telecom (AT) pouvait jouer un rôle de locomotive dans l’introduction des TIC en Algérie. A cause de son retard technologique et la faiblesse de son management, l’opérateur historique risque de se transformer en boulet. Cet avis est partagé par YounèsGrar, expert en TIC, pour qui, le retard d’AT est aggravé par un environnement inadapté qui empêche les Algériens et leur économie de tirer pleinement profit des nouvelles technologies, particulièrement de la 3G, lancée en décembre après de multiples rebondissements.
Pour évoquer ce retard, il suffit de se reporter aux données fournies par AT et par l’administration. En 2005, le programme Ousratic, lancé à grands renforts publicitaires, devait pousser l’Algérie vers le seuil des six millions d’abonnés à l’ADSL à l’horizon 2010. En 2014, il n’y a qu’un million et demi d’abonnés à l’ADSL, un quart de l’objectif visé.
Pour Younès Grar, AT a clairement eu un rôle de goulot d’étranglement dans cette opération. La même erreur risque de se répéter aujourd’hui avec la 3G, à cause d’une mauvaise évaluation du marché par le ministère de la Poste et des technologies de l’information et l’ARPT, l’agence de régulation des TIC. Cette dernière a évalué le marché algérien à trois millions d’abonnés 3G en cinq ans. Or, selon M. Grar, ce chiffre pourrait être atteint dès la première année. Les prévisions approximatives risquent de bloquer le processus de développement de la 3G, estime M. Grar, qui atténue toutefois cet impact par la souplesse des opérateurs, qui devraient avoir les ressources nécessaires pour anticiper les demandes et s’adapter.
« AT ne sait pas vendre »
Pour cet expert, AT, qui est au centre de la démarche, a « raté sa transition» de l’administration vers l’entreprise commerciale. En cause, l’absence de concurrence et d’innovation, qui a eu des conséquences « désastreuses». M. Grar cite les exemples qui prouvent l’incapacité d’AT de s’adapter au marché. La demande de lignes non satisfaite est énorme, alors que les lignes en dérangement atteignent un seuil faramineux, près de 20.000 pour la seule ville d’Alger, « ce qui est complètement inacceptable pour une entreprise commerciale ». AT va «subir un coup énorme » à cause de ce retard, car elle a été dans «l’incapacité de s’adapter».
Sur le plan commercial, AT « ne sait pas vendre », affirme M. Grar. Des unités commerciales « ne sont pas informées des nouvelles offres ». Il cite la décision de l’opérateur de doubler le débit ADSL à partir de début 2014 pour faire face à l’arrivée de la 3G. Pourtant, dit-il, les unités commerciales et techniques locales d’AT ne sont pas informées de cette décision ni des modalités d’application. Il se demande aussi « comment AT a pu doubler le débit ADSL pour le même tarif », ce qui signifie clairement que les prix antérieurs étaient injustifiés, car on ne peut envisager l’hypothèse qu’elle vend aujourd’hui son produit à perte.
Mauvaise gouvernance
Pour M. Grar, les opérateurs doivent s’adapter à l’explosion de la demande 3G, et ils ont la souplesse nécessaire pour le faire, mais il se demande si AT pourra répondre à cette évolution. « On ne peut pas rester prisonnier de la mauvaise gestion d ‘AT », dit-il, ajoutant qu’à ce rythme, AT risque de constituer un goulot d’étranglement pour de développement de la 3G.
Mais AT n’est pas seule responsable de cette situation. Il y a une part de mauvaise gouvernance. Il est « inacceptable de trouver des cités de 1.000 logements non connectées », alors que dans d’autres pays, des « opérateurs de quartiers vivent grâce à 1.000 abonnés », selon M. Grar, qui s’est demandé si, dans le programme du million de logements à construire, ont été prévus les équipements nécessaires pour la téléphonie, l’internet, la télévision, etc.
Pour sortir de ce cercle de sous-développement, M. Grar prône une « mise à jour du personnel » d’AT, et un « nouveau management », qui pourrait être assuré par la formation et le coaching. Ces actions sont primordiales pour éviter qu’AT ne constitue un frein au déploiement des nouvelles technologies alors qu’elle devrait en être la locomotive. Et même s’il admet que la 3G « ne constituera pas une révolution » pour le pays, M. Grar souligne qu’elle va « apporter du bien-être et de l’efficacité économique ».